INTERNATIONALISATION DE LA RECONNAISSANCE DU GENOCIDE
UNE PERSPECTIVE EUROPEENNE

Hilda Tchoboian
Présidente de la Fédération Euro-Arménienne pour la Justice et la Démocratie

Hilda TchoboianHistoriquement le mouvement de reconnaissances du génocide des Arméniens est né en Europe ; cela a été rendu indispensable face à la propagande négationniste que l'état turc déclenchait dès les premières références faites à l'extermination des Arméniens dans les textes internationaux.

Cela a été le cas notamment dans les années 70 à Genève, lorsque à la sous-commission contre les mesures discriminatoires et pour la protection des minorités dépendant de la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU un expert a mentionné pour la première fois le cas arménien. Cette simple mention a mis en marche la machine de propagande soutenue par l'ensemble de l'appareil politique, diplomatique et militaire de la Turquie pour faire supprimer le paragraphe 30.

Auparavant, l'état turc réussissait, en général avec une certaine aisance, à stopper toute expression publique du génocide en empêchant la publication de livres ou la réalisation de films sur le sujet. Or, avec l'affaire Du paragraphe 30 une résistance face au mensonge s'est mise en place de la part du Comité de Défense de la Cause Arménienne soutenue par quelques personnalités influentes de l'époque, et d'un certain nombre d'experts internationaux.

Pour la première fois depuis la référence faite au cas des Arméniens dans les textes de Raphaël Lemkin, le génocide trouvait une place dans les textes internationaux, certes à l'échelle des experts, mais avec un impact direct sur les décisions des représentations politiques de la commission des Droits de l'Homme. Le génocide devenait une affaire publique, et plus encore une affaire internationale.

Après des années de péripéties et de luttes acharnées, le rapport Whitaker incluait en 1985 le cas arménien dans la liste des crimes de génocides, un an après un verdict similaire du Tribunal Permanent des Peuples.

Avec la résolution du Parlement européen en 1987 un changement qualitatif intervient dans le mouvement de reconnaissance. Cette fois, la reconnaissance revêt un caractère résolument politique, compte tenu de la nature même de cette instance et en raison de la candidature de la Turquie à l'adhésion à l'Europe.

Plus récemment, ce transfert de la question de la reconnaissance du génocide des Arméniens à la sphère de la politique internationale s'est renforcé par les actes de reconnaissance du génocide par différents parlements nationaux, en Europe, au Moyen Orient, dans les Amériques et en Russie.

Afin de stopper l'internationalisation de ce mouvement de reconnaissances, la Turquie est désormais passée à l'offensive. Depuis deux ans, des groupes voient le jour, d'abord aux Etats Unis, ensuite en Europe, portant le nom de " Comités de Réconciliation "ou de " Rapprochement entre les Arméniens et les Turcs ", et manifestement soutenus par les autorités turques et leurs alliés.

Ces comités sont une imitation abusive et trompeuse des commissions d'enquêtes non judiciaires qui ont été créées dans les pays où de graves violations des Droits de l'Homme ont été commises. En effet, dans plusieurs cas, des commissions ont pu être créées soit par un nouveau gouvernement, soit par un décret, par des accords de paix, par des instances internationales ou même, comme ce fut le cas en Afrique du Sud, par un parti politique. En 2002 on comptait au moins 21 "commissions vérité" dans le monde, créées depuis 1974. Elles portent différents noms: "commission des disparus" pour l'Argentine, l'Ouganda et le Sri-Lanka, "commission vérité et justice" comme en Haïti et l'Equateur, "commission de clarification historique" comme au Guatemala, et encore "commission vérité et réconciliation" comme en Afrique du Sud et au Chili.

Comme l'indique bien leur nom, le premier rôle de ces commissions légitimes est le (r)établissement de la vérité. Elles peuvent être un élément essentiel au service des défenseurs des Droits de l'Homme à condition qu'elles soient un préalable et une aide à l'établissement de la Justice; par ailleurs, pour que leur légitimité ne soit pas contestée, elles doivent être créées par la loi.

Ce n'est bien évidemment pas le cas de la fameuse "Commission de Réconciliation entre Arméniens et Turcs" (CRAT) et de ses dérivés, créées précisément sur l'idée de ne pas examiner le génocide des Arméniens. Il s'agit d'une usurpation du nom de ces commissions qui un peu partout dans le monde ont mis les fondements du dispositif d'actions contre l'impunité.

Il est à noter qu'aucune des "commissions vérités " n'a eu à enquêter sur un cas de génocide.

C'est la Cour Pénale Internationale (CPI) qui a été créée pour juger les crimes de portée internationale les plus graves, tels que les génocides, les crimes contre l'Humanité, les crimes de guerre, etc. Or, la CPI a une compétence limitée aux personnes physiques et son statut ne lui permet pas de juger les personnes morales privées ou publiques. De plus, elle n'a aucune compétence rétroactive, ce qui exclut la possibilité d'une justice pour le génocide des Arméniens dont les auteurs ont disparu aujourd'hui.

Globalement, un examen des instruments disponibles de la justice internationale montre que le cadre juridique international est trop restreint et inadapté au cas du génocide des Arméniens. Or la question de la responsabilité du génocide aujourd'hui reste en suspens : il y a bien des principes et des lois qui établissent clairement que c'est l'Etat turc moderne qui porte la responsabilité morale et légale de l'extermination du peuple arménien : la "Convention de Vienne sur la succession des états" portant sur la propriété d'état, les archives et les dettes, la "Convention sur la prévention et la punition du crime de génocide" font apparaître cette responsabilité. Or compte- tenu de l'absence d'une juridiction internationale adaptée aux particularités du génocide qui nous concerne, cette responsabilité ne peut être reconnue par la Justice Internationale. De plus la Turquie continue obstinément de nier le génocide, ce qui double sa responsabilité politique et légale d'une responsabilité coupable de négationnisme.

L'absence de cadre juridique adéquat est compensée par le cadre politique, d'où toutes ces reconnaissances par les parlements nationaux.

A cet égard, la candidature de la Turquie à l'adhésion européenne est une occasion historique d'examiner la capacité de la Turquie à se conformer aux normes politiques de l'Europe, donc aux valeurs qui ont fondé l'Europe. Or, c'est la dénonciation des génocides et des horreurs commises par l'Allemagne nazie qui a rendu possible et viable cette construction européenne. La question se pose aujourd'hui de savoir si l'Europe ne perdrait pas son identité profonde en admettant en son sein un pays génocidaire et négationniste qui remet en cause ses valeurs fondatrices.

Avant que la Turquie ne soit reconnue officiellement comme candidate à l'Union Européenne à Helsinki en 1999, la résolution du 18 juin 1987 du Parlement européen intitulée "pour une solution politique de la question arménienne" avançait la reconnaissance du génocide par la Turquie comme une condition incontournable de cette adhésion. Aujourd'hui, les très officiels "Critères de Copenhague" définissent les conditions d'admission de la Turquie en fonction des performances de ce pays en matière de démocratie et de Droits de l'Homme, mais occultent plusieurs problèmes politiques que la Turquie moderne refuse de régler, comme le génocide des Arméniens et le problème des droits du peuple kurde.

C'est le sens de notre action en Europe, auprès de la classe politique des pays européens, et auprès des institutions de l'Union Européenne.

Nous voudrions que l'Europe participe concrètement à la lutte internationale contre l'impunité des génocides.

C'est la raison de notre participation, en tant que représentants de la société civile européenne, à la Convention sur l'avenir de l'Europe.

La lutte contre l'impunité comporte trois étapes essentielles : le droit de savoir, le droit à la justice et le droit à la réparation. L'économie d'une de ces étapes expose les victimes à de nouvelles menaces de violations.

La recherche de reconnaissance, de justice et de réparations individuelles et collectives du génocide des Arméniens et de ses conséquences présente l'intérêt de créer un cadre moral pour la sécurité et la survie de l'Arménie, mais aussi de tous les autres peuples qui se trouvent dans une situation de vulnérabilité dans cette région du monde.

Une Turquie surarmée, qui n'a pas prouvé sa capacité à renoncer durablement à son habitude de réagir aux événements avec une violence disproportionnée, constitue une menace pour la sécurité des peuples voisins.

Il est à regretter que la conception par la Turquie de sa place dans cette région du monde reste inchangée depuis l'empire ottoman ; sa vision reste expansionniste et refuse d'intégrer les nouveaux paradigmes des relations internationales au XXIème siècle axés sur la coopération, la stabilité et le développement.

La négation du génocide est intimement liée à cette vision agressive des relations régionales. Dans ces conditions la Turquie reste un élément d'insécurité et d'instabilité dans la région.

"L'impunité représente le triomphe du mensonge, du silence et de l'oubli. Elle viole et empoisonne la mémoire des individus et des communautés." disait Geneviève Jacques récemment:

C'est pour libérer la mémoire, mais aussi pour bâtir une culture de la paix dans la région du Caucase et du Moyen Orient que nous devons lutter contre l'impunité du génocide des Arméniens.




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